Débat: les manifestations brésiliennes (1ère Partie)


Ce débat filmé s'est tenu le 30 juillet au CICP à Paris. Pour en savoir plus sur les intervenants, consultez le site d'Autres Brésils.

Je vous retransmets ici ce que j'ai retenu de ce débat. N'ayant pas prévu de prendre de notes, veuillez excuser la forme un peu sommaire mais les pistes sont là. Merci pour la correction de toute imprécision!

1. Un rappel chronologique
Le premier intervenant, Glauber Sezerino, a d'abord procédé à un rappel chronologique des événements, commençant dès le début de l'année avec des manifestations encadrées par le Movimento Passe Livre [MPL, mouvement pour la gratuité des transports existant depuis moins de 10 ans].
3 phases sont à distinguer dans ces manifestations protéiformes:

Phase 1: Les manifestations de la gauche, notamment à Porto Alegre (en mars?) et à Goiânia (en mai), suivies en juin par les manifestations de São Paulo avec le 13 juin déjà plus de 15.000 personnes dans les rues

Phase 2: Les classes moyennes s'emparent de la rue à leur tour et l'on dépasse le 20 juin  le million de manifestants dans tout le Brésil. Retrait progressif du MPL.
Se fondant sur les enquête de l'IBOPE , qu'il invite à prendre avec précaution,  Glauber Sezerino décrit des participants plutôt jeunes dans leur majorité, aisés (gagnant 5 fois le salaire minimum), un grand nombre ayant un niveau d'éducation élevé.

Phase 3: Le retour de la gauche? Maintenant, ses lieux de manifestation ont changé, elle se redéploie dans les périphéries. Et si la violence policière a disparu dans les manifestations de centre ville, on compte même des morts  dans les favelas. Cela fera-t-il surgir une gauche d'opposition, le PT se verra-t-il renforcé?

Les propositions de Dilma Roussef seront aussi part de la réponse [en cas d'échec, on pourrait s'attendre à voir Lula réapparaître aux élections de 2014 ou sinon Eduardo Campos, de l'opposition].
La question des réformes agraire, fiscale, politique annoncées lors des élections se pose.

2. Les réformes, des voeux pieux?

Stéphane Monclaire a fait part de ses doutes face au "plebiscito" annoncé par la présidente, Dilma Roussef, pour remodeler le politique.
Mais où s'arrêtent les questions politiques?
Les structures sociales, l'insécurité, les routes, la violence contre les femmes...sont autant de problèmes qui ne sont pas au centre de ce "plebiscito". On peut dire qu'il s'agit de remettre dans le jeu les partis politiques si décriés au Brésil, mais pas beaucoup plus que dans la plupart des démocraties.
L'une des causes de cette désaffection est leur manque de représentativité à cause de leur modes de recrutement, de leurs programmes et de leur mode de fonctionnement. Les militants se sentent exclus, même au PT dont la popularité a beaucoup baissé.
Le mode des élections est une autre cause à ne pas négliger: il s'agit d'un vote proportionnel avec listes ouvertes. Autrement dit, on peut aussi voter pour une personne, ce que font la plupart des gens qui ne se reconnaissent pas dans les partis. Cela entraîne un émiettement des voix et encourage les corporatismes.
Par exemple le député Lourival Mendes, qui a des responsabilités dans la police ["delegado"], a été élu avec 30.000 voix alors que le quotient électoral en exigeait en principe 73.000. S'il a pu être élu malgré le morcellement de l'électorat, c'est parce que les policiers ont voté pour lui. C'est lui l'auteur du PEC 37 tant décrié, un projet d'amendement constitutionnel en faveur des forces de police dont il est le fier représentant.
Face à tous les blocages que l'on peut observer dans le système politique, la réforme de Dilma Roussef ne pourra être, selon Stéphane Monclaire, qu'une mini-réforme car elle devra, pour la faire passer en respectant les formes constitutionnelles, s'appuyer sur les députés et les sénateurs qui ne souhaitent pas nécessairement scier la branche sur laquelle ils sont assis..
Cet avis n'était manifestement pas partagé par Carla Orlandina Sanfelici (du PT) qui, après avoir indiqué qu'effectivement le PT, bien qu'à la Présidence, était faiblement représenté dans les chambres réunies en congrès (<20>
La réforme souhaitée par Dilma et le PT s'oriente autour de 5 axes:
- la responsabilité fiscale (contrôle de l'inflation)
- la réforme politique (lutte contre la corruption)
- la santé
- les transports publics
- l'éducation
Bref, cela reprend en gros ce qu'on a pu entendre dans la rue.

3. Le rôle de la presse
Beatriz Barbosa nous a ensuite éclairés sur les médias au Brésil et leur influence sur les manifestations.
Il faut observer qu'on ne peut pas parler de système d'information public. Il existe bien une chaîne de télévision publique, mais sa couverture du territoire est assez mauvaise.
Moins de 10% de la population lit les journaux et moins de 50% a accès à l'internet qui reste cher, ce qui limite aussi le rôle des médias sociaux, même s'ils ont contribué à mettre en évidence la violence policière.
La presse a depuis des années entretenu des rapports hostiles avec tout type de manifestant. La première réaction des journalistes fut, après les premières manifestations sur l'Avenida Paulista au centre de São Paulo, de soutenir la répression policière et de réclamer la "libération" de la Paulista...
Il a fallu attendre que des journalistes soient eux aussi victimes des violences policières (15.06) pour que la presse réagisse et s'insurge au nom de grands principes. À ce moment-là, la presse a commencé à crédibiliser les manifestations, ce qui amena encore plus de monde dans les rues, des gens qui n'avaient sinon jamais manifesté. 
Le 17.06, les manifestations ont pris de l'ampleur et ne sont plus alors évoqués que "quelques casseurs".
Le 20.06, après l'annulation des augmentations des tarifs des transports, la presse commence à s'en prendre à la gauche, notamment sur le thème de la lutte contre la corruption, un des chevaux de bataille de la presse depuis 10 ans. Une critique du référendum se fait aussi jour.


La population n'est pas naive face au parti pris des médias et de la télévision en particulier. Une formule répandue en donne un indice: "O povo não é bobo. Fora  rede Globo" (~ Le peuple n'est pas idiot, hors du réseau Globo); Globo est un des plus importants réseaux d'information du Brésil, sa devise est "Onde tem Brasil, tem Globo!" (~Là où se trouve le Brésil, vous trouverez Globo).

Exemple de vidéo se moquant de l'impartialité de la presse:


L'accès à l'information est donc problématique à l'heure actuelle et il est souhaitable pour le bon fonctionnement de la démocratie que cet accès soit à l'avenir facilité.

Enfin Fernanda Vilar est venue expliquer les raisons de l'annulation de la manifestation Place de la Nation du samedi 22 juin 2013 à laquelle se sont tout de même rendues environ 1.000 personnes: annulation de l'augmentation du prix du ticket de transports en commun, craintes de récupération du mouvement par la droite, les médias, changement du caractère des manifestations, ...

Dans la deuxième partie, j'évoquerai les questions posées aux intervenants et les précisions apportées. À suivre donc :)

En complément:
Du parti des travailleurs (PT) au parti de Lula , article paru dans le Monde Diplomatique.

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