La Question idiote (5)

Le raccourci

Itinéraire, voie plus courte qui permet d'arriver plus rapidement en un lieu“ selon le dictionnaire. En toute logique, nous devrions tous les emprunter, pour aller droit au but sans perdre de temps. Mais il s’agirait alors des voies principales et nul n’aurait l’idée de les décrire autrement. Il s’agit donc de chemins ou peu s’aventurent. Mais pourquoi? Parce qu’ils ne savent pas, pardi! Celui qui a la chance de le connaître est dans les secrets des Dieux, jouissant de sa gloriole chaque fois qu’il gagne du temps, riche de son secret qu’il tient à préserver.

Et si pourtant il y avait d’autres raisons? “Toi et tes raccourcis, tu me la referas!”. Tout avait si bien commencé, on voyait déjà le clocher au détour d’une colline, mais le chemin s’est rétréci progressivement, plus de damage, de la terre et souvent de grosses flaques, la voiture prise dans l’ornière. Même l’envie de continuer à pied ne se manifeste pas vraiment. Bon, heureusement on va pouvoir passer un coup de fil car de nos jours, le téléphone de voyage, tout le monde en a un dans sa poche. Et si la batterie était morte?
Le jeu d'échecs dans "Le mystère de la sombre zone"
[de Siniac,
ISBN 2743608250, 375 pages, env. 9€]

Siniac n'était manifestement pas un mordu des échecs, cela ne dérangera pas ceux qui ne sont pas 'initiés' pour lire l'énigme.

Ceux qui ont la malchance de côtoyer Caissa de plus près seront en revanche un peu contrariés: encore un roman qui ne parle pas de manière appropriée de leur jeu favori. Les conditions de jeu et particulièrement l'usage du temps, la façon de se préparer à une partie, tout cela est mal décrit, le vocabulaire technique employé à tort.





Si la folie n'est pas loin, c'est ici comme symbole de l'enfermement que le jeu apparaît.

Parmi les passages étranges ou dérangeants du pur point de vue technique:

-p.38 "Il allait être 2 heures du matin. La partie qu'ils avaient attaquée vers 23 heures durait toujours, bien que Dézessarts, en champion des échecs qu'il était eût réussi dès le début du match son coup majeur: l'enfermement de la dame adverse sur HI. Saint-Florent, pas du tout emprunté à ce jeu, se défendait avec brio, usant avec ingéniosité des 2 tours et des 2 fous qu'il avait su conserver. Mais à 2 heures 10, le fatidique "Échec et mat" de Dézessarts, qui avait les blancs, fut prononcé."
Pour HI au lieu de h1, il peut s'agir d'une coquille. On imagine que Dézessarts a dû sacrifier sa tour h1, voire les deux tours comme dans une variante du gambit letton qui sait, pour finir par capturer la dame noire. Mais cet extrait vous donne une idée de la façon dont les parties sont décrites. "coup majeur", "2 fous"... Oubliez le vocabulaire échiquéen!

-vous découvrirez que tout joueur de club est appelé "clubman".



Au mystère du meurtre impossible, hommage évident à la chambre jaune de Gaston Leroux, s'ajoute le mystère de la partie impossible.
De même que les enquêteurs ne parviennent pas à reconstituer l'assassinat, la partie, malgré une description où manquent seulement quelques coups, ne se laisse pas reconstruire de manière plausible. Il s'agit d'une partie entre deux joueurs très forts, une partie tellement intéressante ou du moins marquante qu'un joueur rêve de la rejouer. Les fautes grossières sont donc a priori exclues. Et pourtant, aidé de mon ordinateur, je n'ai pas réussi à retrouver les 11 premiers coups de cette miniature comptant 18 coups. Voyez plutôt:

[Hum, je constate qu'il va me falloir tout réécrire et republier la partie, un peu de patience SVP]

IZP- Isaac Mossourgski [D00]
Joué le 01.09.1938
(1-0 en 18 coups)
[p.54: "En cet été 1938[...], je battis [le gmi Isaac] Mossourgski en 18 coups et en 25 minutes. C'est cette partie-là que je veux faire rejouer"]
Si, à l aide des éléments du texte que vous trouverez ci-dessous, vous parvenez à reconstruire la partie de manière plus convaincante, dites-le moi!
1.Cc3 d5 2.d4 Cf6 3.f3 Ff5 4.Fg5 Dd6  
Fin de la série de coups imposés indiqués dès la page 54.  
[p.54: "Voici les quatre premiers coups de chaque camp. Un: cavalier, c3, d5. Deux: d4, cavalier f6. Trois: f3, fou f5. Quatre: fou g5, dame d6." Les coups sont même écrits proprement p. 178!]
J'ai plus de deux millions de parties dans ma base de données, mais on en est déjà sorti avec ce dernier coup, ce qui est avantageux dans le cadre d'une partie à inventer.
 5.Fxf6 
 [ p. 178: "Le jeune clubman [Krummerwald] allait-il jouer comme l'avait fait Igor Zakharovitch  le  1er septembre 1938? Eh bien oui, maisa après presque 10 minutes de réflexion. Il saisit son fou de la dame et prit le cavalier du roi adverse."]
À noter que page 337, la transcription de la partie Krummerwald-Podorovieff est fausse: 5.Fh5 Db4 6. Fg3 Db6 est impossible et incohérent.  Même en supposant qu'il nous faille lire 5. Fh4, 6. Db6 ne peut pas être un coup de gmi, quand 6. Dxb2 est évident.
5...exf6  
 [p. 179: "Le coup adverse ne se fit pas attendre. À peine 15 secondes.[...]
- é prend f6".
Edme Krummerwald s'écarta peu après de la partie de référence, cela fut "flagrant au 8ème coup", et il fut maté au 13ème coup]
 Pour l'instant, la position n'a rien de spécial.
6.e4  
[p. 184: "Il [Dézessart] s'est décidé à prendre le cavalier du roi noir au bout de 19 minutes! se dit Lacaussade.IZP avait répliqué presque aussitôt mais son adversaire avait laissé passer 21 minutes avant de jouer le coup suivant: é4, toujours dans le mouvement de la célèbre partie de 1938."]
6...dxe4 
 Ce coup n'est pas indiqué dans le roman, mais on peut admettre que c'est celui qui a été joué par Mossourgski. Les noirs ont joué à un moment ou à un autre ... dxe4 et ... e3.  
7.Fb5+  
[p. 185: "7ème coup des blancs: le Vieux voyait son roi mis en échec par le fou du roi adverse"]  
7. ...c6 
 [p. 185: "la réponse ne se fit pas attendre: couverture par c6"]
8.Fa4
[p. 185: "8ème coup des blancs: Fa4. Cette fois, se dit Lacaussade, Dézessart a été moins lent. Il est vrai que pour faire faire machine arrière à son Fou il n'était pas besoin de réfléchir 107 ans. Il n'allait quand même pas le sacrifier. Sauf à prendre le pion noir avec le cavalier et menacer la Dame noire. Mais avec des si..."
p. 185: "Il se dit que Dézessarts avait bougé ses pièces exactement comme l'avait fait IZP"] 
8. ...e3  
Ce coup et les suivants jusqu'à 10.Fxç6 ne sont pas indiqués dans le roman, il s'agit donc d'une "reconstitution". Les noirs ont forcément joué ... à un moment donné puisque le 12ème coup "logique" des blancs serait 12.Dxe3  
9.Ch3 
 comme les blancs jouent 11. De2, un coup comme 9. Cge2 n'est pas possible. Il faut bien se développer si les blancs sont censés mater en 18 coups, d'où ce coup étrange.C'est vraisemblablement ici qu'il faudrait trouver une amélioration permettant d'expliquer la partie.Et il ne peut s'agir d'un des coups suivants:9. Cge2, 9.Fb3, 9.Cç3 bouge (sinon Db4+ "empêche" De2), 9.b4, 9.a3 [ autre suite possible: 9.d5 £b4 10.¥xc6+ coup inexplicable 10...bxc6 11.£e2 £xb2] 
9...Db4  
Comme les Noirs doivent jouer 11.Dxb2, il faut bien que la Dame vienne ici.  
10.Fxc6+ 
 ?? Laisse supposer que 9. Ch3 n'est pas le coup joué par les blancs car après ce sacrifice absurde, ils sont clairement perdants!
p. 187: "[...]jusqu'à présent, il n'avait pas dévié du jeu d'IZP en ce début de septembre 1938. [...] Il vient enfin de se décider à déplacer son fou, constata Lacaussade. 17 minutes de réflexion pour le gambit qui s'imposait pour rassurer et piéger la Dame! 10...bxc6 p.187: À Chenaz-les-Morges, Igor Zakharovitch décrocha son téléphone et annonça son 10ème coup: b prend ç6 11.De2 p. 340: "Il déchiffra les coups de la première ligne 1. Cç3 - d5 à la dernière 11. Dé2 Dxb2" 11...Dxb2 p. 209: "-Mais c'est épouvantable! La même partie qu'en 1938! Jusqu'à mon onzième coup -septième réel- Dézessart avait joué exactement comme je le fis en 38 contre Mossourgski." 12.Dxe3+ p. 211: "[...] pendant qu'il réfléchissait sur son coup à jouer. Sa riposte à votre dame ayant pris b2.-Logiquement sa dame aurait dû prendre mon pion é3. Mais je ne puis préjuger de ce que..."Il faut donc supposer que dans cette position, par une combinaison géniale, les Blancs matèrent un grand-maître en 18 coups en 1938! Difficile à croire... 1–0