La réalité plus forte que la fiction?
Au rayon documentaires allemands

On n'en finirait pas de faire la liste de tous les documentaires qui, ces derniers temps ont rencontré du succès au cinéma. La grande nouveauté du genre est le caractère polémique nettement plus prononcé de nombre d'entre eux. Cela répond à la volonté de divertir que l'on retrouve dans quasiment tous ces films, l'instruction venant après.

Parmi les titres récents, en voici deux qui ont attiré mon attention. Je ne les ai pas encore vu mais une critique pourrait suivre cette première introduction.

"Full Metal Village, so macht Landwirtschaft spaß"
[c'est comme ca qu'on s'amuse dans l'agriculture]

Bienvenue à Wacken, petit village du nord de l'Allemagne. 20 km jusqu'au prochain cinéma. Quand vous traverserez le village vous ne pourrez pas manquer la pancarte qui vous dira: "réjouis-toi, tu es à Wacken". Sinon, allez voir la galerie de photos sur le site du journal "Die Zeit".
Tous les ans, un festival de hard-rock amène quelques milliers de visiteurs qui ne viennent pas seulement pour profiter de l'air frais en toute simplicité. Les rayons de l'épicerie sont alors pour quelques jours surchargés de boites de raviolis et de packs de bière. Effet de contraste garanti: la fanfare municipale ouvre le festival avec quelques airs de musique "oum pa pa". OUM ... PAPA, OUM... PAPA. La danse des canards quoi! Puis les choses deviennent sérieuses et les p'tits jeunots envahissent la scène et les longues chevelures vont pouvoir s'agiter frénétiquement. Pendant ce temps-là, pas très loin, un paysan regarde sa vache dodeliner avant de lancer un "MEEEEUUuuhh..." très émouvant. Le film a été tourné par une coréenne qui affirme avoir enfin établi un lien avec l'Allemagne grâce à ce village et à son festival.

"Die Finsternis"
['Les ténèbres']
En septembre 1944, le gouvernement de Vichy finissant a déménagé pour se retrouver à Sigmaringen, charmante petite ville du sud de l'Allemagne; si vous y passez, rendez-vous également à Beuron, un cloître pas très éloigné, la route le long de la vallée du Danube est très belle. La capitale de la France se trouva donc pour quelques mois au château [sur l'image ci-contre, le château vers 1900], les collabos ayant suivi résidant dans les hotels voisins. Céline faisait partie du lot et a écrit un récit de cette situation que ne pourrait rêver un écrivain:
un état sans territoire, entouré d'ambassades allemandes et japonaises, dans une Allemagne nazie en train de s'effondrer. Ce film lui permet de devenir scénariste à titre posthume.
Est passé sur Arte et y repassera peut-être. Également disponible en DVD avec une version FR et une version anglaise.
Les Quiproquo

Les quiproquo sont toujours une grande source d'amusement pour le spectateur mais lorsque nous en faisons l'expérience, nous ne sommes pas toujours à même de goûter l'effet comique.

Difficile, alors que l'on semblait partager les mêmes préoccupations, d'accepter le grand écart soudain imposé. En parfait accord avec autrui, on se sent soudain trompé ou incompris. Quoi? Nous aurait-on menti pour seulement mieux découvrir le fond de notre pensée ou pour nous manipuler? Se serait-on moqué de nous? Le plus souhaitable est encore que chacun comprenne que nulle intention mauvaise ne se cachait derrière et réalise ce qui a pu être la source du malentendu.

L'origine en est souvent une manière elliptique de s'exprimer ou bien une ambiguité du langage.

Le quiproquo est en principe symétrique, sinon on a plutôt affaire à une tromperie.
Certaines phrases peuvent servir de sonnette d'alarme telles que "vous ne savez pas à quel point vous avez raison!", puisque l'un semble en savoir plus que l'autre et ne cherche pas forcément à ouvrir les yeux à son interlocuteur.

Dans d'autre cas, le sujet abordé par les deux personnes n'est pas le même, mais croyant parler de la même chose, elles n'évoquent la question qu'à mots couverts, jusqu'à la désillusion parfois comique.

Il se peut également qu'elles parlent de la même chose, mais à un niveau différent: l'une parle par conviction et l'autre considère la vérité de ce qui est dit.
L'une dit: "C'est certainement ...", suivi d'une affirmation quelconque, disons "c'est certainement Marie qui frappe à la porte". Elle ne fait ainsi qu'une supposition, mais de la véracité de laquelle elle est convaincue, sans pour autant pouvoir prouver que ce qu'elle dit est vrai. On peut y voir une imprécision du langage, voire une "connerie" comme dirait Frankfurt.
L'autre entend "certainement" et réagit violemment: "Comment? Rien n'est absolument certain en l'occurence , c'est vraiment se moquer du monde, prendre des libertés avec les faits!"

Heureusement, la plupart du temps, rien de dramatique ne ressort de ces petits problèmes de communication. Ils sont même souvent utiles à la vie en société. Parfois, ne vaut-il pas mieux ne comprendre qu'à moitié ce que les autres disent?

Quelques pistes dans Wikipédia
Delius à Grez-sur-Loing

Delius, compositeur peu connu et peu joué, du moins ici “sur le continent”, comme dirait un de mes amis anglais qui l'adore. Sa musique, même d’apparence joyeuse, fait toujours naître en moi un sentiment de malaise dû à ces glissades permanentes, l’impression de ne pas avoir un point fixe sur lequel s'appuyer. Delius a énormément voyagé et a connu une vie aventureuse: né en Angleterre, il dirigea une plantation aux États-Unis mais surtout y reçut des leçons d’harmonie, en Allemagne il rencontra Grieg, à Paris il fit beaucoup la fête, ce qui l’amena plus tard à se retirer avec une syphillis à Grez-sur-Loing, un village un peu à l'écart, du côté de Fontainebleau, où beaucoup d'artistes vécurent à l'époque.




The bridge at Grez, 1900
Sir John Lavery






Là, dans une maison avec un jardin tout en longueur donnant sur le Loing, il finit ses jours dans de grandes souffrances, dictant ses dernières œuvres à Fenby, un jeune homme passioné par sa musique. Une maison que Delius dut quitter précipitamment lors de la première guerre mondiale pour aller se réfugier en Angleterre. Il se vit contraint de cacher ses bouteilles de vin car il ne put les emporter et eut la grande chance de les retrouver en revenant après la guerre car les Allemands qui avaient pourtant occupé la maison dormirent sur un petit trésor sans le remarquer.

Fenby a écrit un livre intéressant, "Delius as I knew him", dans lequel il nous décrit sa rencontre avec Delius et sa femme et sa vie quasi monastique dans ce petit village où les visites de personnalités du monde musical, telles que Sir Thomas Beecham ou encore Elgar, venaient égayer le quotidien parfois sinistre. Ken Russell s'est inspiré de cet ouvrage pour réaliser un film intitulé "Song of Summer".

Si vous avez beaucoup de chance, vous trouverez le moyen d'acheter le DVD qui n'est plus disponible du moins pour l'instant. Sinon, vous irez voir le film tronçonné sur youtube. En voici le début (certains des 5 morceaux pourraient ne pas être accessibles depuis votre pays pour des raisons de droits):



Voir aussi:
Sur les artistes a Grez

MàJ 28.09.2012:
L'excellent livre de Fenby sur Delius est téléchargeable sur archive.org:
Delius as I knew him
Des machines à voter transformées en ordinateurs d'échecs!


Le Chaos Computer Club s'est amusé à transformer des machines à voter en jeux d'échecs électroniques [cf. image ci-contre, source: www.ccc.de]. Et pour bricoler une machine, à peine une minute est nécessaire, comme le prouve la vidéo accessible sur leur site.

Voici une traduction du communiqué publié par ce club de fondus des processeurs:

"Le Chaos Computer Club [CCC] a établi que les machines à voter électroniques utilisées en Allemagne sont faciles à bricoler. Il réclame que ces machines ne soient pas utilisées pour les prochaines élections.

Un rapport détaillé a été remis au tribunal constitutionnel fédéral Allemand. L'ordinateur de vote testé était celui de la société NEDAP. Ce rapport contredit toutes les informations données par cette société et par le ministère de l'intérieur Allemand. Les attaques testées permettent une falsification des résultats électoraux simple et sans risque d'être découvert.

Cet analyse menée par le CCC en coopération avec la fondation néerlandaise "Nous ne faisons pas confiance aux ordinateurs de vote", prouve que le logiciel utilisé pour compter les voix est facile à manipuler. Les logiciels pour la configuration et l'évaluation, avec lesquels les élections sont préparées et les voix des bureaux de vote sont additionnées, peuvent également être facilement attaqués. Des manipulations du 'hardware', c.à.d. des ordinateurs même, dans le but de manipuler des élections sont aussi possibles. Les résultats de l'analyse technique ont également étés confirmés par des tests pratiques lors d'élections dans les huit mois passés. On ne peut pas exclure avec certitude que des manipulations des élections pour le Bundestag, le parlement Allemand, aient eu lieu.
Il n'y a en pratique aucune protection efficace contre ce type de manipulation

Ni le processus de certification de l'office fédéral, ni les procédures de test menées lors des élections ne permettent de déceler les manipulations montrées. Il en suit que les ordinateurs de vote de NEDAP ne satisfont en aucune manière aux exigences légales en Allemagne.

L'analyse rend clair le fait que les difficultés pour l'utilisation d'ordinateurs de vote sont alarmantes, quelque soit le constructeur ou la conception des machines. Il n'y a pas de moyen technique permettant avec suffisamment de fiabilité de pallier à ces risques de manipulation. Contrairement aux processus traditionnels de vote, le vote par ordinateur enlève ne peut être ni vérifié, ni contrôlé par les électeurs.

"Si l'Allemagne veut se montrer à la hauteur de son rôle de modèle pour les jeunes démocraties et ne veut pas être l'objet de railleries au niveau international, il n'y a pas d'autre solution que d'abandonner la technique du vote par ordinateur", conclut Andy Müller-Maguhn, porte-parole du CCC.

Si on met objectivement en balance l'utilité limitée face aux risques considérables, il apparaît nécessaire de revenir aux bonnes vieilles méthodes: le papier et le crayon!"


Sources (en allemand):
Chessbase (13.06.2007)
Chaos Computer Club

Prochainement: Les échecs, un jeu de hasard?

"On bullshit" de Harry G. Frankfurt
[Traduction chez 10/18:
"De l'art de dire des conneries",
78 pages]


Les quelques commentaires lus sur ce mince essai m'amènent à me demander si c'est le même texte que j'ai eu dans les mains et si j'ai bien compris le propos de l'auteur. Le fait d'avoir lu la version allemande ne devrait pourtant pas faire tant de différence.

Ce texte ressemble plus à un mémoire d'étudiant qu'aux travaux d'un philosophe émérite. Et comment le bon élève lance généralement son devoir? En regardant la définition dans le dictionnaire. Ici l'auteur consulte L'Oxford English Dictionnary. Il complète cette première définition par celle du terme voisin de "humbug" selon Max Black:
"une fausse représentation trompeuse de sa pensée, de ses sentiments ou de son comportement, touchant au mensonge, particulièrement par un caractère prétentieux en paroles ou en acte" [ "a deceptive misrepresentation, short of lying, especially by pretentious word or deed, of somebody's own thoughts, feelings or attitude" ].

Frankfurt ne fait guère plus que de commenter en détail et d'établir que la distinction entre 'connerie' et 'mensonge' provient de l'indifférence du baratineur à l'égard de la vérité quand le menteur est convaincu de dire ce qui est faux.
Quand le menteur estime tromper doublement son interlocuteur, sur les faits et sur ce qu'il pense, le second se moque éperdument de savoir si son discours est fidèle à la réalité ou non, ne se pose pas la question de l'existence d'une vérité, du moment qu'il parvient à son but.

Tout philosophe est habitué à s'élever contre le sens commun et c'est probablement par réflexe que Frankfurt estime les conneries plus dangereuses que les mensonges. Il nous invite à nous demander pourquoi nous sommes en général plus indulgents envers les bonimenteurs qu'envers les menteurs. Le baratin, me semble-t-il, a quelque chose de poétique auquel on ne saurait renoncer. Dire 'je me sens aussi misérable qu'un chien écrasé' est peut-être une connerie, mais le message est d'une clarté fulgurante et chacun peut y démêler le vrai du faux. Le mensonge, par contre, nous met au risque de tenir des choses vraies pour fausses et vice-versa.

Il s'interroge encore sur les conditions favorables au baratin: liberté voire devoir ou contrainte de s'exprimer et de se prononcer sur des sujets qui ne nous sont pas familiers, le scepticisme ambiant permettant d'affirmer tout et son contraire, ...

En définitive, la bibliographie est encore la partie la plus intéressante dans ce livre. En dehors des ouvrages déjà cités, Frankfurt mentionne également: "De Mendacio" de St-Augustin. Bref, il donne quelques pistes à suivre à qui voudrait approfondir le sujet.