Ne pas parler en mangeant

C'est une des plaies des dîners de se sentir obligé de discuter de sujets anodins au détriment du plat principal.

Amélie Nothomb, dans "Ni d'Eve ni d'Adam" [pp. 145-146, Albin Michel, 2007], nous raconte comment les japonais ont réglé le problème en créant le métier de conversationneur. Plus de crainte d'avaler de travers, de parler la bouche pleine ou d'arborer innocemment la salade coincée entre ses dents, laissez au professionnel le soin de débiter des banalités!

En définitive, rien de si dépaysant. Combien de gens branchent la télé pendant les repas?
On pourrait aussi évoquer les "symphonies pour les soupers du Roy" de Michel Richard Delalande. Si l'on rembobine un peu plus l'histoire occidentale, on trouvera des orateurs flattant les convives. L'histoire de Simonide de Céos racontée par Aristote dans "L'orateur" II.86 l'illustre bien. Il récita une ode en l'honneur de Scopa, mais eût le malheur de faire un peu trop l'éloge de Castor et Pollux au détriment de son hôte fortuné.
Celui-ci en prit ombrage et ne voulut lui payer que la moitié de ses gages: le solde, c'est aux Dieux qu'il avait tant vantés qu'il devrait le réclamer. Au milieu du repas, Simonide fut appelé dehors où, lui dit-on, deux jeunes gens l'attendaient. Personne. Mais quand il retourna dans la salle du banquet, ce fut pour constater que le plafond s'était effondré sur la joyeuse compagnie. Les Dioscures avaient payé leur part à Simonide...

La fonction est toujours la même, meubler. Parfois de manière détestable, parfois en se confinant dans les banalités, parfois en touchant au sublime; mais meubler. Et cela ne devrait être nécessaire que lorsque la nourriture est mauvaise. Car qui mangera avec des gens qu'il n'aime pas?

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